Le réchauffement climatique et ses conséquences multiples se précisent davantage à chaque nouveau rapport du GIEC. Parmi les causes majeures, les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités anthropiques et la dégradation des puits de carbone naturels accentuent le phénomène. Pourtant, ces derniers sont essentiels au maintien d'une atmosphère terrestre vivable. Nous faisons le point sur les puits de carbone, leur importance et leur fonctionnement.
Qu'est-ce qu'un puits de carbone et comment ça fonctionne ?
Tout le carbone produit par la biomasse, l'activité volcanique et l'activité humaine ne se retrouve heureusement pas dans l'atmosphère terrestre. Une partie est séquestrée par assimilation ou dépôts sédimentaires dans des réservoirs naturels ou artificiels à la surface ou sous la surface terrestre et océanique. Grâce à ces réservoirs de carbone, le CO2 atmosphérique est stabilisé, mais cet équilibre est fragilisé par les émissions carbone de l'Anthropocène (période courant de la révolution industrielle du XIXᵉ siècle à nos jours), trop importantes pour être correctement absorbées, d'autant plus que les puits naturels se réduisent d'année en année.
Les puits de carbone naturels
La planète est en capacité d'absorber naturellement de grandes quantités de dioxyde de carbone.
Premier puits de carbone naturel, l'océan occupe plus de 70 % de la surface du globe et absorbe 30 % du CO2 atmosphérique, soit environ 3,2 milliards de tonnes de carbone. Une partie est séquestrée directement par l'eau de mer froide des fonds marins, dans laquelle il se dissout et tombe sur le plancher océanique par sédimentation, où il reste piégé pendant des centaines d'années. Une autre partie est absorbée par le phytoplancton et les algues via le processus de photosynthèse en surface avant d'entrer dans la chaîne alimentaire et par les différents organismes marins, dont les récifs coralliens et les crustacés, pour fabriquer leur coquille ou leur squelette en calcaire (carbonate de calcium). Le carbone est capté puis assimilé tandis que le dioxygène (O2) est rejeté dans l'eau et dans l'atmosphère selon le procédé de la pompe biologique. De plus, en mourant, tous les organismes marins tombent au fond de l'océan, participant au cycle du carbone séquestré dans les couches sédimentaires.
Néanmoins, le déséquilibre de la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone lié à la pollution de l'air conduit à l'acidification des océans sur tout le globe et au dérèglement de ce puits de carbone essentiel, avec des conséquences néfastes pour la vie marine et la vie terrestre en général, car la capacité de stockage du carbone diminue. En outre, n'oublions pas que l'océan rejette également un peu de CO2 et ce quel que soit le procédé de captation.
Les sols et les forêts contribuent aussi au cycle du carbone à hauteur équivalente, réparti dans la biomasse aérienne, la biomasse souterraine (racines), la nécromasse ligneuse (bois mort), la litière (décomposition organique…) et le sol.
En effet, le sol, particulièrement les tourbières et les toundras de l'hémisphère nord, stocke le carbone sous la surface sous forme minérale et sous forme organique. Ce processus est à l'origine de nos énergies fossiles (puits de pétrole, charbon, gaz naturel, hydrate de méthane…) et des roches calcaires. La capacité de stockage du sol diminue à cause de l'urbanisation massive et de l'agriculture intensive (surexploitation des sols, monocultures, utilisation excessive d'intrants…). Notons également que le réchauffement climatique qui provoque le dégèlement du permafrost (ou pergélisol) entraîne mécaniquement la libération du carbone piégé dans ces sols gelés vers l'atmosphère, accentuant davantage le phénomène.
Quant aux arbres, considérées comme le poumon vert de la planète, elles utilisent le processus de photosynthèse pour capter et assimiler le carbone de l'atmosphère et du sol avant de rejeter de l'oxygène afin de fabriquer leurs composants organiques. Une large part du carbone séquestré l'est dans les forêts tropicales d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie du Sud-Est et dans les forêts boréales du Canada et de la Russie.
La déforestation massive liée à l'implantation de cultures agricoles et des villes, mais aussi des incendies qui ravagent chaque année les forêts, réduit significativement leur capacité de stockage du carbone. Par ailleurs, les forêts largement déboisées comme l'Amazonie pourraient libérer plus de carbone qu'elles n'en captent en raison du CO2 dégagé par le sol mis à nu.
Les puits de carbone artificiels
Afin de pallier la diminution des puits de carbone naturels et d'en séquestrer le plus possible en attendant la réduction des émissions de gaz à effet de serre des activités humaines, nous avons élaboré différents procédés artificiels de séquestration du carbone par absorption anthropique. Il s'agit notamment de la séquestration géologique, un enfouissement consistant à injecter le CO2 dans des réservoirs souterrains ou terrestres pour le stocker, de la dissolution du CO2 d'échappement dans un liquide (employée par les centrales à charbon fortement émettrices de CO2), un dissolvant aminé comme l'éthanolamine, de la capture du carbone atmosphérique par aspiration, de la géo-ingénierie avec altération forcée des sols pour stocker plus de carbone ou encore de la reforestation. Cette dernière présente des limites, car il faut veiller à ne pas altérer l'écosystème, ce qui serait contreproductif à moyen terme, avec des conséquences écologiques négatives imprévues.
Cependant, ces procédés très coûteux ne sont pas encore suffisamment efficaces. C'est pourquoi nous nous tournons essentiellement vers le maintien ou la réhabilitation des puits de carbone naturels.
Pourquoi les puits de carbone sont-ils essentiels ?
Le Protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005 puis l'Accord de Paris ratifié lors de la COP21 en 2015 ont établi que la Terre resterait vivable dans des conditions acceptables si le réchauffement climatique est limité à 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle. Pour cela, il est essentiel d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Or, l'année 2022 a été marquée par un record d'émissions carbone, estimées à 40,6 milliards de tonnes de CO2 imputables aux secteurs de l'énergie et de l'industrie, malgré les efforts consentis à l'échelle mondiale. C'est 1 % de plus qu'en 2021 et presque autant qu'en 2019 avant la crise sanitaire de la Covid qui a marqué une baisse de 5 % en 2020, mais aussi deux fois plus que ce que l'océan, la végétation et les sols peuvent absorber. Face à ces chiffres, il est d'autant plus indispensable de préserver et de restaurer le potentiel de stockage des puits de carbone naturels dans le but de lutter contre le changement climatique et ses conséquences.
Restaurer ou créer des puits de carbone pour rééquilibrer le CO2 de la planète
Pour répondre aux enjeux du changement climatique, il devient urgent de restaurer les poumons verts et bleus de la Terre, tout en réduisant drastiquement l'emploi des énergies fossiles et donc les émissions de carbone dans l'atmosphère.
La restauration des puits de carbone naturels
Le pH optimal de l'océan nécessaire au bon développement de la vie marine et à l'absorption du CO2 est de 8,25. Or, le dernier rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) prévoit une diminution du pH de 0,4 d'ici à 2100 s'il n'y a pas de baisse des émissions mondiales, soit une acidification majeure de l'océan et une extinction massive des organismes marins. La seule solution de restauration possible du pH océanique réside en notre capacité de changement de mode de vie par l'abandon rapide des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables et par la décarbonation générale.
Du côté des sols, repenser l'agriculture améliorerait la séquestration du carbone, notamment en garantissant une couverture végétale toute l'année qui pourrait assimiler le CO2 par la photosynthèse de la partie supérieure et par les racines. La réduction des intrants (engrais, pesticides…) et la régénération des sols permettraient également de limiter la pollution des sols arables et l'optimisation du piégeage du carbone.
Pour les forêts, la limitation du déboisement lié à l'urbanisation (expansion des villes et bétonisation) et à l'agriculture maintiendrait aussi le couvert végétal et son processus de captage du CO2. Par ailleurs, la reforestation ou reboisement des zones défrichées serait une manière efficace d'augmenter la surface de puits de carbone naturels, à condition de privilégier les espèces à croissance lente telles que les bois tropicaux aux espèces à croissance rapide qui, finalement, rejettent plus de carbone qu'elles n'en assimilent (bouleau, hêtre, saule…).
La création de puits de carbone : un enjeu de la compensation carbone
La compensation carbone consiste à compenser les émissions CO2 irréductibles des entreprises (État, collectivité, entreprise, association, particulier) par le financement de projets de développement durable, dont font partie la préservation et la création de puits de carbone. De toutes les solutions proposées par les labels et les entreprises dédiées à la compensation carbone, la reforestation est privilégiée. En effet, on peut quantifier la quantité de CO2 piégée par un arbre ou un végétal selon son espèce et son emplacement sur la planète afin de délivrer des crédits carbone reconnus par l'ONU (mécanisme de développement propre - MDP) ou simplement par un label sur le marché de compensation volontaire ouvert à tous, tel que le label bas carbone.
Du point de vue de l'entreprise, qu'il s'agisse d'une obligation légale ou d'un financement volontaire, la création ou le réaménagement de puits de carbone est bénéfique. En effet, cela s'inscrit dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) en valorisant l'image de marque auprès des parties prenantes (investisseurs, fournisseurs, clients ou usagers…) après avoir évité les émissions carbone réductibles de l'activité.
Face au changement climatique et à la préservation nécessaire de l'environnement terrestre et océanique, les puits de carbone sont plus que jamais essentiels afin de maintenir le taux de dioxyde de carbone atmosphérique à un niveau acceptable. Entre préservation de l'existant et développement de solutions de piégeage du carbone, tout est à faire et ouvre des perspectives écologiques intéressantes pour l'avenir de la planète dans l'ère de l'Anthropocène.